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Argo Navis

2025-05-11

Documentaire format long sur la pêche artisanale au côté du Jason IV, format 6x6, Ile de Ré, 2023-2025

«Sois aussi ignorant de ce que tu vas attraper qu'un pêcheur au bout de sa canne à pêche. (Le poisson qui surgit de nulle part.)» Robert Bresson

La pêche et la photographie ont un langage commun. Je l’ai compris quand je me tenais sur le bateau. Je gardais l’équilibre sur mes deux appuis, fléchissant un genou ou l’autre, pour compenser les mouvements de houle afin de composer l’image sur mon dépolit (visée de l’appareil photo). Sur ce dernier, en inversé, se trouvait Charles. Il gardait l’équilibre sur ses deux appuis, fléchissant un genou ou l’autre, pour recomposer sa ligne de pêche.

La ligne strie la mer, le dépolit strie le réel. Tous deux cadrent, mettent une limite, afin de saisir un poisson, une image.

Il me semble qu’il y a un secret aussi grand entre le réel et son image, qu’entre la surface opaque de la mer et ce qu’elle contient. Il est impossible de voir l’image que compose un photographe ou le piège que compose le pêcheur, qui peut être très complexe.

Sur la question du temps, la pellicule m’impose sa lenteur. L’image qu’elle contient ne se révélera que plus tard en laboratoire. Je piège le réel sans savoir ce qu’il me rendra et le pêcheur pose la ligne sans savoir ce qu’il en sortira.

«La photo{...}C’est la chasse des anges ... On traque, on vise, on tire, et Clac ! Au lieu d’un mort, on fait un éternel.» disait Chris Marker.
Il y a une différence entre la photographie et la pêche. L’objet du pêcheur c’est le vivant sous l’eau. Il communique avec lui par la pêche, qui est une forme de chasse.
La mer est une pellicule, que l’esprit du pêcheur peut traverser, pour rencontrer le vivant sub-aquatique, l’extra-terrestre. Il est le témoin et l’intermédiaire d’un autre monde, comme le chasseur ou le chamane dans certaines sociétés animistes.

Le pêcheur a un statut particulier au sein d’une société, encore plus lorsque c’est une île. En parlant de ce projet à une amie d’Ars en ré, elle m’a dit «tu vas être adopté dans le village». Elle entendait par là que ce métier est honoré au sein de la communauté et que sa documentation faisait sens.
Je pense que le pêcheur est tout autant honoré qu’à l’écart et que l’un ne va pas sans l’autre. Pour Charles, c’est seul et très souvent de nuit qu’il part en mer.

Il fait partie de ces voyageurs qui fendent l’eau en réveillant les étoiles. Il voit naître le jour qui dissocie enfin la mer du ciel. Il a le même recul qu’un astronaute qui, à travers le hublot, regarde notre terre flotter dans l’espace. Je l’ai photographié avec le même appareil qui a saisi les premiers pas sur la lune - le Hasselblad 500CM - et comme ce photographe-astronaute je me sentais très loin de la terre.

Le retour au port est long, comme un atterrissage. Cela fait plusieurs heures que mon corps et mon esprit flottent dans l’image. Les premiers pas à terre sont déroutants. On se sent transformé, comme si l’on ne faisait plus partie de ce monde.

Les passant s’arrêtent, fascinés par ce(ux) que l’on rapporte de cet ailleurs. Certains me demandent ce que l’on a pris comme si j’étais pêcheur. J’aimerais leur montrer ce livre.