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Entropie/néguentropie

2016-01-12

Dessin d'André Masson pour la revue de Georges Bataille Acéphale.

Le terme d'entropie vient de la thermodynamique (science de la chaleur/des échanges d'énergie/ des grands équilibres). Ce domaine l'a définie en tant que croissance des particules et du vivant qui tant à la désorganisation et empiète sur les particules adjacentes. On peut dès lors soulever un caractère inhérent à l'entropie : l'interdépendance entre destruction et création. C'est de ce point que part notre réflexion et notre positionnement vis-à-vis de son inverse la néguentropie : ce qui nie l'entropie.

L'entropie est ce qui libère l'espace, renouvelle la place, accueil de nouveau la vie* en donnant la mort. Une immense dilapidation du vivant pour le vivant. Son acceptation et sa proximité vis à vis de notre être est essentielle. C'est pour ce vieil homme la possibilité de mourir le sourire aux lèvres en voyant un enfant passer au pied de cette dernière salle, c'est pour cette plante le sacrifice de son être pour ce qui l'environne et ce qu'elle a elle-même porté à la vie. Nier l'entropie c'est nier la vie. C'est croire lutter pour la vie alors qu'on laisse la place à la fixité et à l'absence de manifestation de l'usure qui est la trace de la vie.


L'approche conceptuelle de la mort et comment nous composons notre parcours au regard de cette fatalité est un souci partagé par tous. Nos coutumes se sont très clairement positionnées vis à vis de cette acceptation ou ce refus. Un constat ethnologique nous est donné par George Bataille dans la part maudite** avec les sacrifices aztèques. Nécessité de donner la mort pour la vie, de dilapider de façon improductive, Bataille définit cela comme des "sociétés de consumation". Son inverse, la société d’entreprise se base sur une accumulation, un refus de la perte. Or cette logique implique un souci de saturation. Celle-ci peut se traduire de façon très violente et destructrice. Ainsi la guerre, l’obsolescence programmé, le principe de destruction créatrice en économie semblent être les résidus métaphysiques de cette néguentropie. Prenons l'obsolescence programmée. À force de refuser la perte dans la société du capital (le capital engendrant plus de capital) tout en basant l'entièreté de son fonctionnement sur une consommation perpétuelle (c'est à dire une perte utile), tout a dû passer du côté de la consommation afin de renouveler en permanence les besoins. Ainsi ce qui avant était œuvre*** (avec une forte dimension néguentropique), l'architecture ou les outils par exemple, sont devenus des éléments de consommation, mais ici leur perte est inutile au regard de l'usager. (À noter que, de façon impartiale, cette perte est en effet inutile. Il n'y a que du point de vue de la production qu'il devient, non pas utile, mais nécessaire. C'est donc une résolution par défaut plutôt qu'une tactique judicieuse.). Une conséquence profondément néfaste est que ces œuvres étaient la base de la continuité du monde artificiel de l'Homme, constituant un repère essentiel, créateur de sens, éloignant la futilité de la vie mortelle. Nous sommes devenus résidant d'un monde artificiel qui ne cesse de s'autodétruire, perdant sa seule qualité qui était la durée, nous jetant dans un espace où toute prise est friable.

*dans ce texte, le terme "vie" n'est pas la vie linéaire à l'échelle individuelle, de la naissance à la mort. Le terme vie est utilisé dans sa manifestation cyclique de mort/naissance, la mort n'étant pas du tout en dehors de la vie mais une de ses composantes essentielles.** Georges Bataille dans cet ouvrage met en lumière cette "dilapidation improductive" à tous les niveaux, y compris cosmique avec la perte des rayons lumineux, conférant une vérité métaphysique à ce concept. Il n'est aucunement question d'entropie, ce parallèle est une proposition de ma part.*** À voir la diférenciation étymologique Grec de travail et oeuvre proposé par Hanna Arendt dans la condition de l'homme moderne : Le travail est ce qui suit le rythme des nécessités vitales. Il est en permanence renouvelé, comme le sont les besoins vitaux, car il est détruit, permettant par la suite de renouveler le travail. Cultiver est un exemple très claire de travaille. Les oeuvres sont des éléments que l'on ne consomme pas mais que l'on utilise ou que l'on contemple. Ils constituent le monde artificielle de l'homme qui atteste de notre existence et de celle de nos aïeux. Hanna Arendt avance dans ce livre que la distinction s'est perdu à la fois dans le langage et dans les faits, et qu'il n'y à rien aujourd'hui dans la vie active qui ne soit du travail "pour gagner sa vie".